VIEILLIR TOUS LES JOURS SANS DISCRIMINATION.
L’âgisme au quotidien
« Laisse tomber, je vais le faire à ta place. » Animés de bonnes intentions, certains de nos proches tendent à nous surprotéger et à prendre des décisions à notre place lorsque nous prenons de l’âge, d’autant plus si nous nous trouvons en situation de perte d’autonomie ou de vulnérabilité. Il faut admettre que la frontière entre apporter du soutien ou prodiguer des soins, d’un côté, et faire preuve d’âgisme, de l’autre, est très mince.
Une discrimination pernicieuse
Ce ne sont donc pas que des inconnus qui adoptent des attitudes et des comportements discriminants. En effet, l’âgisme, qu’il soit bienveillant ou hostile, se manifeste aussi dans les interactions quotidiennes, au sein même des familles, de l’entourage et du voisinage. Dans des cas extrêmes, les préjugés entraînent de graves conséquences. Ils peuvent mener des individus à dénigrer, à négliger et à maltraiter leurs proches. Il arrive, par exemple, que des propos désobligeants se transforment en violence plus menaçante, verbale, voire physique.
Mais l’âgisme se révèle également de façon beaucoup moins flagrante. À la source de ce phénomène se trouve la perception, que nous avons adoptée sans nous en rendre compte, que les capacités fonctionnelles et cognitives des individus diminuent nécessairement et invariablement au fil du temps. Nous en venons à sous-estimer les compétences à communiquer des personnes aînées, d’où notre tendance à employer avec elles un langage infantilisant ou condescendant, à leur parler plus lentement ou plus fort, à les interrompre ou à les contredire. L’adoption d’une attitude maternelle ou paternelle à leur égard s’avère, malheureusement, fort répandue. Bref, le mythe du « retour en enfance des ainés » est tenace.
Autant de personnes que de façons de recevoir l’âgisme
Mais comment les personnes aînées, souvent considérées avec un mélange d’admiration et de pitié, reçoivent-elles l’expression plus ou moins maladroite de sollicitude à leur égard? Des recherches soulignent que leur perception dépend, entre autres, de leur milieu de vie et de leur état de santé. Par exemple, les personnes qui sont institutionnalisées, moins autonomes, l’accueillent de façon plus positive que celles qui vivent à domicile. Cela dit, si une prononciation appuyée et des phrases simples peuvent aider à la compréhension, la répétition et l’exagération systématiques nuisent : les interactions avec les personnes aînées ne peuvent entrer dans un seul et même moule. Il y a autant de façon de vieillir qu’il y a de personnes, et nous ne devons donc pas tenir pour acquis que toutes les personnes aînées ont de la difficulté à entendre, à comprendre, ont besoin d’aide ou ont des limitations.
Être mis à l’écart au quotidien
Parmi les autres manifestations quotidiennes de l’âgisme, on observe communément une stigmatisation de celles et ceux considérés comme étant « trop vieilles » ou « trop vieux » ; ce processus se traduit de façon générale par de l’indifférence, de la froideur et de l’évitement. Mais qui décide du moment où nous devenons « trop vieille » ou « trop vieux » pour faire quelque chose? Il faut admettre que nous appliquons parfois ces discours à nous-mêmes, ce que l’on nomme l’auto-âgisme. Certes, danser avec énergie pendant plusieurs heures ou conduire un véhicule à l’heure de pointe devient, parfois, plus difficile avec le temps. Cependant, le fait de réserver certaines activités à la jeunesse en s’appuyant sur des idées stéréotypées contribue à la marginalisation des personnes aînées, alors que tout écart à la norme peut engendrer un sentiment d’incohérence sur le plan de l’identité : « Je ne me sens pas vieille ou vieux, mais tout le monde me fait sentir ainsi. »
Pression sociale et âgisme au quotidien
Le problème est amplifié du fait que nous sommes inévitablement confrontés à des discours qui s’opposent : demeurer actifs, mais accepter notre âge ; ouvrir le chemin des nouvelles générations et revendiquer notre place comme personne aînée ; accepter certaines limitations, mais ne pas se laisser imposer une façon de les vivre.
Les pressions exercées pour un vieillissement « réussi » représentent d’ailleurs l’une des incarnations plus subtiles de l’âgisme vécu au quotidien. On nous somme, quoiqu’il arrive, de mener une vie active et en santé, de nous dévouer pour nos proches, de nous impliquer socialement, bref de nous « réinventer » sans cesse. À première vue, même si ce « programme pour bien vieillir » semble positif par rapport aux représentations négatives du vieillissement, plusieurs études en montrent les effets pervers. D’abord, le fardeau de la réussite repose en grande partie sur nos épaules, sans que soient pris en compte nos parcours singuliers ni nos conditions de vie. Ensuite, il génère souvent une obsession de performance et une angoisse lorsque nos attentes sont déçues.
Rompre avec l’âgisme exige que nous développions socialement le réflexe de poser des questions pour connaître les capacités, les aspirations et les besoins réels des individus, peu importe leur âge. Offrir son aide est toujours mieux que de l’imposer !