ÊTRE SON PIRE ENNEMI : L’AUTOÂGISME

L’âgisme envers soi-même

« Vous ne faites pas votre âge! » La plupart d’entre nous sommes flattés lorsqu’on nous complimente de la sorte, n’est-ce pas? À force d’être confrontés aux stéréotypes âgistes, nous pouvons en venir à les intérioriser. C’est ce que l’on appelle l’autoâgisme, un phénomène nourri par les représentations (médiatiques, entre autres), les discours (politiques, médicaux, scientifiques, par exemple) et les interactions entre les individus et les groupes sociaux. En soi, l’autoâgisme représente donc l’une des conséquences de l’âgisme.  

Plusieurs études avancent que notre malaise par rapport à notre propre vieillissement est en partie liée au tabou de la mort dans notre société : les personnes aînées nous rappellent ainsi notre propre mortalité. Ajoutons à cela l’accent mis sur la productivité, l’instantanéité et l’autonomie, des valeurs extrêmement valorisées : difficile d’avoir envie de vieillir!

Le positionnement social lié à la vieillesse, quasi systématiquement dévalorisé, agit donc sur nos expériences subjectives du vieillissement, qui réfèrent à l’âge que nous avons l’impression d’avoir et à l’âge que nous pensons – et souhaitons – projeter. L’autoâgisme nous mène à espérer avoir l’air plus jeunes que nous le sommes… et c’est là que les marques de crème antirides nous attrapent. Les personnes qui ont intériorisé les stéréotypes âgistes peuvent tenter de se distinguer de celles et ceux que l’on associe à leur groupe d’âge : les vieux et les vieilles, ce sont les autres! Une manifestation banale de l’autoâgisme consiste d’ailleurs à nier son âge. 

La perception négative de la vieillesse ayant été renforcée tout au long de notre vie, nous en venons souvent à nous discriminer, à nous stigmatiser ou à nous exclure nous-mêmes. Nous nous interdisons ainsi de parler et d’agir de telle ou telle manière parce qu’elle ne correspond pas à ce qui nous semble socialement acceptable. À quel âge, par exemple, croyons-nous que nous devons abandonner la casquette ou la mini-jupe? 

Nous craignons par ailleurs le déclin physique et cognitif, la maladie et la dépendance. Il s’agit-là d’un cercle vicieux. En effet, l’autoâgisme peut précisément affecter nos performances physiques et intellectuelles, alors que l’état de notre santé mentale et physique amplifie la perception négative de notre propre vieillissement. 

Bref, l’autoâgisme a d’importantes conséquences. Il nourrit la crainte de devenir un fardeau pour la société et entraîne souvent un retrait social plus ou moins progressif. Mieux comprendre pourquoi nous n’aimons pas vieillir et connaître les raisons qui motivent nos attitudes et comportements peut nous aider à vivre notre vieillissement de façon plus positive. 

 
 
Références
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